Elle en a du caractère cette vallée de Haute Bléone, entourée de ses montagnes. Comme si des artistes peintres étaient discrètement venus l’embellir de leurs pinceaux multicolores. Sa prestance magnifie les autres sommets. Imposant même de loin, l’Estrop domine le pays dignois. Sa tête culmine à 2961 mètres et se mérite. Au fil des saisons, à pied, en raquettes ou en ski de randonnée, l’effort soutenu est de mise. Le panorama à perte de vue sur les massifs environnants est une sacrée récompense. En route pour un 360 époustouflant !

Départ “camp de base”

Les Eaux Chaudes, le nom du lac contraste avec la fraîcheur matinale. C’est le début de mon Odyssée de l’Estrop. Sac à dos délesté au maximum pour se préserver, le faisceau de la frontale ouvre le chemin. A l’entame de la piste forestière, les cailloux s’entrechoquent sous les pas. La nuit amplifie les sensations. La ferveur est là. Un mélange d’excitation et d’appréhension à l’évocation de l’intense effort à livrer. Gagner le point culminant du pays dignois n’est pas aventure à prendre à la légère.

L’aurore dévoile les sommets alentour. L’Estrop est pour l’instant caché par ses congénères. Les mélèzes agrémentent les pentes le long du parcours. Leur flamboyance automnale mettra un point final à cette harmonie géologique qui défile sous nos yeux. La palette feu de leurs aiguilles sublimera bientôt ce tableau naturel.
Le bruit de l’eau reste discret mais la Bléone dévale au loin. Enjambée après enjambée, sa source se rapproche. Il faudra patienter un peu et s’élever davantage pour l’atteindre.

Saveurs et senteurs d’altitude

L’échauffement relativement à plat des premiers kilomètres laisse place à un sentier étroit et plus ardu. Le pont népalais franchi, le lit de la rivière et ses chaos rocheux s’éloignent et l’ascension commence. La forêt délivre ses senteurs typiques. Accentuées par la rosée du matin, les odeurs de mousse et de tapis d’aiguilles assaillent les narines. La lavande de montagne et sa fragrance tant recherchée parsèment les abords du chemin.

Fraises et framboises sauvages ralentissent la progression avec délectation. Hmmmm… le jus des fruits éclate en bouche. Leur saveur est exaltée par l’altitude. Une halte inattendue, gourmande et savoureuse !

Cascade de la Piche

L’arôme subtil des framboises embaume encore le palais et a galvanisé le corps. Après cette gustative traversée en sous-bois, le sentier s’élève plus sérieusement, tantôt à flanc, tantôt en courts lacets pour arriver au Pas de la Piche que l’on franchit par une vire. Rapidement en vue, la cascade de la Piche projette l’eau de la Bléone avec force et débit en contrebas. La vasque turquoise donnerait envie de s’immerger pour un bain de fraîcheur revigorant. La montée échauffe les muscles et la monture. Le soleil a généreusement estompé la nuit et la peau s’enflamme doucement de cette chaleur naturelle.

En amont de la cascade, le paysage s’ouvre sur les pâturages. Ce vallon ne manque pas d’allure. Lieu de prédilection pour l’estive, les troupeaux paissent çà et là, les cabanes de bergers ponctuent l’alpage. Tout au fond, on devine la silhouette protectrice du refuge de l’Estrop, judicieusement installé au creux du massif.

Alpages et “camp avancé” du refuge de l’Estrop

Sous l’ardeur du soleil estival, le vert de l’herbe drue printanière a disparu, remplacé par le doré de la fin d’été. Un florilège de couleurs ! Le bleu profond du ciel contraste avec le jaune des herbes hautes. La Bléone, cristalline, a perdu en épaisseur, c’est un torrent de montagne. Sa source est désormais à proximité. Le terrain redevient plus doux et la perspective d’atteindre bientôt le refuge donne un regain d’énergie. Les pas s’allongent et s’accélèrent. Les marmottes, habituées au défilé des randonneurs, alertent tout de même leur progéniture d’un danger imminent. Un sifflement strident retentit, signe local d’une première étape franchie : le refuge de l’Estrop est gagné.

En terrasse, la pause est frugale mais délicieuse. Le bachal permet de réapprovisionner les gourdes. Ne pas s’attarder, garder le rythme et repartir à l’assaut du colosse !

A l’assaut de la tête de l’Estrop

La pente herbeuse qui surplombe le refuge plante le décor : l’ascension jusqu’au sommet ne sera pas de tout repos. Les premiers lacets sont raides, le souffle devient court. Les jambes flageolent et ressentent le dénivelé déjà avalé. Avancer tranquillement, respirer à pleins poumons et reprendre un rythme. La splendeur du paysage atténue la difficulté de cette zone escarpée. Après les derniers alpages s’ensuit un chaos rocheux somptueux. Les cairns seront des sentinelles jusqu’au sommet. Le silence ajoute à l’ambiance sérieuse de la haute montagne. Rester vigilant. Entre chaque pierre, les pas sont précis. L’ascension est sportive, au milieu de blocs impressionnants. Le dénivelé défile, la pente sommitale est en ligne de mire.

Le dôme de l’Estrop trône dans une atmosphère singulière de dalles rocheuses enchevêtrées. La main de l’Homme en a positionné certaines à la verticale : une œuvre d’art ! Les passages plus éprouvants sont vite oubliés et gratifiés par un 360 à couper le souffle. Le regard, insatiable, virevolte dans toutes les directions. Le spectacle est saisissant !

Et si je notais l’Estrop dans mes recettes « rando » préférées… aventure sportive sucrée-salée, rencontres pétillantes et paysages épicés : tous les ingrédients pour une échappée originale. J’en veux encore !

Une soirée suspendue… à plus de 2000 mètres d’altitude

Les yeux ne se lassent pas de ces paysages à l’infini mais il est temps de redescendre. A l’idée de retrouver le refuge pour la nuit, les jambes, exténuées par cette épopée sportive, reprennent de la vigueur. L’esprit divague et se remémore tous ces instants privilégiés, au cœur d’une nature éclatante. Sursaut… le cœur palpite brusquement. Le silence est troublé par le sifflement d’un chamois, une mère protège son petit et prévient de la présence humaine. Qu’ils sont beaux et libres sur leur rocher. Ils volent presque, leur agilité est déconcertante.

L’arrivée au refuge est saluée par l’accueil chaleureux des gardiens. La douche à l’air libre revigore les muscles endoloris. La louchée de soupe d’ortie est un délice, sa réputation l’a précédée. Ce festin en altitude revêt une saveur particulière. Les randonneurs jusqu’alors inconnus partagent leurs aventures. Les langues se délient et les histoires vont bon train. On résiste encore un peu à la fatigue. Le sommeil sera profond à n’en pas douter.
Le petit déjeuner maison englouti, il est l’heure de se mettre en marche. La descente est conséquente. Les jambes engourdies de la veille se réveillent tranquillement. Heureusement, les vasques translucides de la Bléone seront à l’arrivée la cerise de cette randonnée inoubliable.

Au sommet de l’Estrop

Bon à savoir

  • Refuge ouvert de mai à octobre
  • Bonne condition physique
  • Jour 1 : bons marcheurs
  • Jour 2 : marcheurs confirmés

Randonnée sportive conseillée en deux jours. Ascension jusqu’au refuge le 1er jour (environ 850 mètres de dénivelé positif). Nuit au refuge. Tête de l’Estrop le 2ème jour (environ 920 mètres de dénivelé positif) et redescente au point de départ.

En savoir plus

Lieu Dit Refuge Estrop
04420 Prads-Haute-Bléone
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